Chers frères et sœurs, Par le dimanche des Rameaux, l’Église nous fait entrer dans la Semaine Sainte d’une manière bien singulière : commencement dans la liesse, et achèvement dans le silence pesant du tombeau. Nous acclamons Jésus en agitant des rameaux, comme la foule l’a fait à Jérusalem… mais très vite, notre voix se confond avec celle de cette même foule qui, quelques jours plus tard, crie : « Crucifie-le ! »
Pourquoi ce retournement ? Pourquoi une telle concentration paradoxale de sentiments et d’expressions ? Pourquoi ce basculement du triomphe à la violence ?
La Lettre de saint Paul aux Philippiens (2,6-11) éclaire justement cela. Le Christ, dit saint Paul, « s’est anéanti », « prenant la condition de serviteur », « devenu obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la Croix ». Le Fils de Dieu est venu jusqu’à nous dans une humilité déconcertante, chevauchant un ânon, désarmant souvent ses contradicteurs par sa bonté, comme le soulignait bien dimanche dernier l’évangile de la femme adultère. Mais cette bonté, paradoxalement, dérange. Elle met à nu nos orgueils, nos violences cachées, notre besoin de contrôle. Et surtout, elle révèle ce mal en nos cœurs, ce que saint Paul appelle ailleurs le mystère d’iniquité : ce mal que nous ne comprenons pas toujours, mais que nous sentons à l’œuvre, même en nous, auquel bien souvent nous consentons...
Face à Jésus, l’homme juste par excellence, nous sommes mis à l’épreuve. L’humanité, comme pour tester la solidité de cette bonté, comme pour vérifier si elle tient bon jusqu’au bout, le pousse jusque dans les extrêmes : contradiction verbale, mensonge accablant, souffrance, humiliation, mort. Comme si l’on voulait voir : que devient la bonté quand on la piétine ? Est-ce qu’elle résiste Est-ce qu’elle se venge ? Cesse-t-elle d’être bonté ?
Et c’est justement là que la gloire de Dieu éclate : « C’est pourquoi Dieu l’a exalté », poursuit saint Paul. Jésus ne se dérobe pas, il va au bout de l’amour, il porte le mal de l’humanité sans jamais le rendre. Ainsi, au cœur même de la Passion, une lumière commence à poindre.
La Semaine Sainte s’ouvre avec ce paradoxe douloureux : la foule acclame le Roi… mais elle refuse un roi qui ne correspond pas à ses attentes. Le Christ ne règne pas en dominant, mais en servant. Il ne s’impose pas, Il s’expose. Il ne contraint pas, Il se livre. Alors, en cette liturgie expressive, regardons ces deux voix en nous : Acclamons notre Roi dans l’Espérance, et offrons à sa miséricorde cette ultime pauvreté qu’est le mal que nous portons. Par cette offrande, nous nous tournons déjà vers le mystère de Pâques, dans l’attente de la Résurrection.